jeudi 16 décembre 2010

« Le petit chaperon vert » CAMI (1884-1958) - Acte 2

La ruse du Petit Chaperon vert.

La scène représente l'intérieur de la maison de la mère-grand.

LE LOUP QUI MANGEA JADIS LE PETIT CHAPERON ROUGE, couché dans le lit. – Dès que j'ai aperçu le Petit Chaperon vert se diriger vers maison de sa mère-grand, j'ai opéré de la même manière qu'autrefois pour le Petit Chaperon rouge. Je suis arrivé le premier chez la mère-grand. J'ai dévoré rapidement cette vieille dame, j'ai pris sa place dans le lit et j'attends le Petit Chaperon vert, il ne vas pas tarder à heurter à la porte.

LE PETIT CHAPERON VERT, frappant à la porte. - C'est votre fille le Petit Chaperon vert qui vous apporte une galette et un petit pot de beurre.

LE LOUP QUI MANGEA JADIS LE PETIT CHAPERON ROUGE, adoucissant sa voix. - Tirez la chevillette et la bobinette cherra. (Le Petit Chaperon vert entre.) - Mets la galette et le petit pot de beurre sur la huche, et viens te coucher auprès de moi.

LE PETIT CHAPERON VERT, à part. - Ciel ! C'est le loup! Je reconnais la même phrase qu'il prononça jadis pour attirer le Petit Chaperon rouge dans le lit. Le misérable est en train de digérer mère-grand, mais grâce à mon idée, il lui sera impossible de me dévorer.

LE LOUP QUI MANGEA JADIS LE PETIT CHAPERON ROUGE. -Eh bien, viens-tu te coucher, mon enfant?

LE PETIT CHAPERON VERT, se couchant près du loup. - Me voilà! Oh! mère-grand, que vous avez de grands bras ?

LE LOUP QUI MANGEA JADIS LE PETIT CHAPERON ROUGE. - C'est pour mieux t'embrasser, mon enfant.

LE PETIT CHAPERON VERT. - Mère-grand, que vous avez de grandes jambes!

LE LOUP QUI MANGEA JADIS LE PETIT CHAPERON ROUGE. - C'est pour mieux courir, mon enfant.

LE PETIT CHAPERON VERT. - Mère-grand, que vous avez de grandes oreilles !

LE LOUP QUI MANGEA JADIS LE PETIT CHAPERON ROUGE. - C'est pour mieux t'écouter, mon enfant.

LE PETIT CHAPERON VERT. - Mère-grand, que vous avez de grands yeux !

LE LOUP QUI MANGEA JADIS LE PETIT CHAPERON ROUGE. - C'est pour mieux te voir, mon enfant! (A part.) Apprêtons-nous !

LE PETIT CHAPERON VERT. - Mère-grand, que vous avez de grands bras!

LE LOUP QUI MANGEA JADIS LE PETIT CHAPERON ROUGE, interloqué. - Mais tu l'as déjà dit, mon enfant.

LE PETIT CHAPERON VERT, continuant. -Mère-grand, que vous avez de grandes jambes,

LE LOUP QUI MANGEA JADIS LE PETIT CHAPERON ROUGE. - Mais tu répètes toujours la même chose! Voyons, il y a autre chose à demander, par exemple (Insinuant.) : mère-grand, que vous avez de grandes...

LE PETIT CHAPERON VERT, de grandes oreilles !

LE LOUP QUI MANGEA JADIS LE PETIT CHAPERON ROUGE. - Mais non, de grandes... de grandes... (Très insinuant.) ça commence par un d.

LE PETIT CHAPERON VERT. -... de grandes jambes!

LE LOUP QUI MANGEA JADIS LE PETIT CHAPERON ROUGE, sautant du lit. – Enfer et damnation ! ! ! Ce Petit Chaperon vert se joue de moi ! Cette rusée petite fille s'obstine à ne pas dire : « Mère-grand, que vous avez de grandes dents! » Alors, naturellement, je ne peux pas sauter sur elle et lui répondre : « C'est pour te manger! » (Avec un soupir de regret.) Ah ! où sont les enfants naïfs et faciles à dévorer d'autrefois ? (Il sort, furieux.)

RIDEAU

« Le Petit Chaperon vert », dans L'Homme à la tête d'épingle,
Société Nouvelle des Editions Pauvert,1972.